mardi 29 juillet 2014

J'ai reçu une lettre

J'ai reçu une lettre au boulot.
Avec mon nom dessus.
Une lettre pour moi, un bout de papier froissé, à mon "intention".

Cette lettre a été écrite par Yanis (évidemment ce n'est pas son vrai prénom).

J'ai accompagné Yanis pendant huit mois. Je ne vais pas faire son anamnèse, parce que là n'est pas la question. Je vais juste dire que c'était compliqué avec son grand frère qui se comportait en tout petit.
Et qu'il ne savait pas très bien comment se dépatouiller de cette histoire familiale sordide et de ce grand frère perdu.
A 18 ans, il portait beaucoup de choses, et en lâchait plein d'autres.

Yanis a fini par partir pour rejoindre ce grand frère loin de sa ville d'origine. Je n'avais plus de nouvelle depuis quelques mois.

Et je reçois cette lettre.

©MollyAlias.
Belsunce BreackDown






Yanis est en prison.
Lui-aussi.

Et là, tout de suite, je viens de m'apercevoir que c'est le deuxième article que j'écris concernant un jeune homme incarcéré.
Sûrement parce que ça me touche, l'idée de ces grands enfants enfermés dans une boîte de violence. Parce que ça ne résout rien la prison. On n'accompagne pas les gens en prison, on les écarte encore un peu plus de la société, du commun des mortels, de monsieur-et-madame-tout-le-monde.
Ils ne font plus partie du monde.

Yanis m'a écrit une lettre. Pour me raconter son incarcération. Me demander aussi le peu d'argent qu'il avait laissé. Me dire qu'il allait bien mais qu'il allait rester longtemps en prison. Me dire qu'il ne fallait pas que je m'inquiète parce que, "sincèrement malgré que je sois en prison j'ai beaucoup évoluer dans ma tête". 
Avec des dessins en guise d'illustration.
Un bonhomme dessiné par un enfant, tenant les barreaux entre ses mains.

©MollyAlias.

Je le trouve dur ce bout de papier. Je le trouve triste ce visage. Je la trouve terrible cette image. Elle me fait froid dans le dos.

Ce sont des enfant, ce sont des enfants, ce sont des enfants, ce sont des enfants, ce sont des enfants

Et voilà ce que c'est, un enfant enfermé.


Yanis espère que je lui "réponderai". La solitude ronge les gens en prison. La solitude le ronge. 
Alors oui, je lui réponderai. Je l'ai même déjà fait. 
Mais ça a été difficile pour moi. Difficile de passer à l'écrit. Difficile de lui parler en lui écrivant.
C'est une autre façon de communiquer, que je n'avais jamais utilisé jusqu'alors (dans mon boulot), ou uniquement dans le cadre de courriers formels.

J'ai mis une semaine à lui répondre. J'ai pensé, repensé, réfléchi, reréfléchi, aux tournures, verbes, sujets, compléments... Toute la grammaire y est passée!
Quoi lui dire? Comment lui dire? Sous quelle forme? De quelle façon?
Écrire c'est intime. Écrire c'est poser les mots. Écrire c'est suspendre le temps. Écrire c'est ouvrir les possibles. Écrire c'est déposer un bout de soi qui ne s'envolera pas. 
A ce moment-là, j'ai eu peur de l'écrit je crois.

Et puis il y a quelques jours, j'ai pris une feuille, un stylo, et j'ai écrit. J'ai écrit simplement. J'ai écrit à ce grand jeune homme ce que je lui aurais dit. Sans pathos mais sans détachement non plus. Je l'ai écrit comme je l'ai ressenti.
Quelque chose s'est débloqué. Je lui ai écrit comme si je lui parlais, sans fausse pudeur, sans faire semblant. Simplement.


La lettre a été postée. J'attends qu'il me réponderait à son tour.








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